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samedi 28 juillet 2012

Calendrier des bergers







L’usage des calendriers s’est diffusé à partir du XIIe siècle dans les livres à usage des clercs tels que les psautiers, les missels ou les martyrologes. A la fin du Moyen Âge, les Livres d’Heures débutent toujours par un calendrier qui indique les fêtes religieuses.
Les calendriers et compost des bergers sont de nature différente. Edités pour "enseigner la science des bergers qui est science de l’âme, du corps, des astres, de la vie et de la mort", ces livres sont en fait des compilations à usage pratique et moral destinées à un public laïc. Ils s’inspirent d’ouvrages médiévaux tels que "Le Livre des propriétés des choses" de Barthélémy l’Anglais, les "Grandes Danses Macabres", les traités préparant les âmes au Jugement Dernier. Ils ont recours à l’astrologie, très présente aux XVe et XVIe siècles. Les signes du zodiaque, les planches anatomiques, les danses macabres ou représentations des enfers, les représentations des activités agricoles ou artisanales pour chaque mois de l’année, doivent enrichir le texte pour guider l’Homme vers son salut.

Le premier compost des bergers fut imprimé à Paris par Guy Marchant en 1491 avant d’être réédité à de nombreuses reprises dans les décennies suivantes. Pour l’exemple de Troyes, les éditions se succèdent en 1497, 1503, 1510, 1529 et 1541. Les bois gravés qui illustrent ce dossier proviennent d’un livre imprimé à Troyes en janvier 1529 par Nicolas Le Rouge, qui est conservé par la Médiathèque de l’Agglomération troyenne (Bbl 651).
Ce dossier n’a pas pour objectif l’étude de la totalité de l’ouvrage. Il vise simplement à fournir un document pédagogique sur la vie quotidienne, les techniques agricoles et artisanales dans l’Europe de la fin du Moyen Âge et du début de la Renaissance.




Janvier

Je me fais appeler
Le plus froid de toute l’année
Mais si me puis bien vanter
Que ma maison fut approuvée
Sa foi si y fut ordonnée
Car en mon temps fut circoncis
Jésus et si fut démontrée
Aux trois rois l’étoile suivie (de pris).
Du latin "januarius", de Janus. Dans la réforme qu’il fit du calendrier, Numa, second roi de Rome, déplaça le mois de janvier du onzième rang au premier, où il est d’ailleurs resté avec la réforme grégorienne de 1564 qui fixa le commencement de l’année au 1er janvier. Dans la mythologie romaine, Janus était le dieu des portes et des passages, dans l’espace et le temps, comme le passage d’une année à l’autre. C’est pourquoi un personnage à deux visages opposés est souvent représenté dans les figurations du mois de janvier.
A la fin du Moyen Age, Janus laisse la place à un homme âgé, que l’on retrouve dans les représentations des mois d’hiver.

En raison du mauvais temps et des gelées, les travaux de culture sont à peu près suspendus en janvier. Dans ce bois gravé, la scène est centrée sur un intérieur. Le dallage au sol, la vitre à la fenêtre, la taille de la cheminée de pierre, indiquent l’aisance de ce domicile. Cette impression est confirmée par les objets présents sur la table recouverte d’une nappe, la cruche, la coupe, l’assiette et le couteau.
Nous pouvons remarquer la volonté de l’artiste d’utiliser le dallage au sol pour renforcer la perspective. Mais les objets posés sur la table et notamment la volaille dans l’assiette, semblent vus du dessus. Et la cruche est dans un équilibre précaire.
Février

Février le très hardi je suis
En ce mois la vierge royale
Alla au temple des Juifs
Faire offrande très spéciale
La Jésus Christ lumière très royale
Et présenta es bras de Siméon
Prions sa majesté royale
Quelle garde de France le nom.
Du latin "februarius", de "februare" qui signifie "faire des purifications, des expiations religieuses". C’était primitivement le douzième mois de l’année, mois des morts. Les Romains attribuaient à ce mois une influence néfaste, d’où leur volonté d’en faire le mois le plus court de l’année, avec 28 ou 29 jours.

Le bois gravé reprend les personnages et le décor du mois de janvier. Traditionnellement, les représentations de février font l’impasse sur les travaux agraires en montrant un paysan qui se chauffe près du foyer. Mais ici, la porte ouverte laisse apparaître un homme armé d’une hache, coupant du bois. Un personnage entre dans la pièce, portant sur ses épaules deux fagots, liés avec une branche souple dite "hart".

Mars

Je suis noble mars florissant
Très gentil et très vertueux
En moi vient bien fructifiant
Car je suis large et plantureux
Et Carême le glorieux
Est en mon règne si vous dit
Que suis en moi temps vigoureux
Pour avancer tous mes amis.
En dépit de son nom, le mois de mars était consacré à Mercure. C’était le premier mois du calendrier romain primitif et a souvent été compté comme tel au Moyen Age.
Pour ce mois, les représentations d’intérieur laissent la place aux activités agraires. Le plus souvent, l’activité principalement illustrée dans les calendriers est la taille de la vigne. Il en va ainsi dans le bois gravé du calendrier et compost des bergers.
Au premier plan de la scène inférieure, un homme taille la vigne, en supprimant les sarments inutiles et en écourtant les rameaux à fruits. Il utilise une serpe avec un bec en maintenant le rameau de sa main gauche. A ses côtés, une femme participe à l’entretien en vérifiant ou en plantant les bois qui servent à maintenir les ceps de vigne. A l’arrière-plan de la scène inférieure, un homme utilise une houe pour retourner la terre au pied des ceps afin de protéger les racines du gel. En remuant ainsi la terre en surface, le paysan évite la prolifération des parasites et mauvaises herbes.
Au Moyen Age, la culture de la vigne s’étend dans toutes les régions où le climat le permet. Outre l’usage religieux du vin de messe, elle fournit une boisson, source de vitamines, consommée durant l’année par toute la famille, en étant le plus souvent mélangée avec de l’eau. Mais cette culture demande une main d’œuvre nombreuse et de nombreux soins répartis sur l’année. La précieuse vigne est donc l’objet de multiples attentions. Remarquez que la parcelle est entourée d’une clôture en bois, pour la protéger des dégradations ou des "prélèvements intempestifs". D’ailleurs, le terme "clos", très fréquent dans le vignoble bourguignon, est parvenu jusqu’à nous pour désigner aussi bien le précieux nectar que la parcelle close d’un mur ou d’une haie.
La scène supérieure, quant à elle, nous montre un homme qui, dans l’eau jusqu’aux mollets, semble pratiquer une pêche, peut-être des écrevisses au pied d’un bâtiment accolé à une tour d’angle, qui serait peut-être un moulin.

Avril


Je suis avril le plus joli
De tout en honneur et vaillance
Car nous fûmes tous affranchis
En mon temps par un coup de lance
Par la sainte digne souffrance
De Dieu qui le monde créa
On en doit avoir souvenir (souvenance)
Car en mon temps ressuscita.
Du latin "aprilis", ce mois était consacré à Vénus par les Romains.
La tradition actuelle du poisson d’avril tirerait son origine d’une ordonnance du roi Charles IX ayant reporté au 1er janvier le début de l’année Qui jusqu’alors avait commencé le 1er avril. Les étrennes ne se donnèrent plus qu’en janvier. Certains s’amusèrent à faire à leur place des plaisanteries, des cadeaux simulés. Finalement, comme au mois d’avril le soleil quitte le signe zodiacal des Poissons, nos aïeux donnèrent à ces simulacres le nom de poissons d’avril.

La représentation du mois d’avril met fréquemment en scène un jeune gentilhomme qui brandit une branche et un bouquet composé de fleurs différentes, symboles du renouveau de la nature.
A l’arrière-plan, une jouvencelle semble tresser une couronne de fleurs. Alors que la végétation renaissante tapisse le sol.
Mai

De pareil à moi point n’aura
En très toute cette assemblée
Car qui bien nommer me saura
Je suis le franc roi de l’année
Je suis le mai par que parée
Est mainte belle demoiselle
Et en mon temps fut approuvé
Des docteurs toute la querelle.
Du latin "maius", mois de la déesse maia, divinité primitive latine, tardivement associée à la divinité grecque, mère d’Hermès. Il était placé sous la protection d’Apollon.
La chasse au faucon est fréquemment associée au mois de mai dans les calendriers médiévaux. Le noble, sous les traits d’un homme jeune conduit son cheval de la main droite, alors que de la main gauche, il tient son oiseau de proie, sans que l’artiste ait dessiné le gant de cuir indispensable à cette pratique.
Sur l’arrière du cheval, une jeune femme tient dans sa main gauche une branche d’arbre. Nous pouvons y voir le rappel de la coutume des "mais". Au Moyen Age et dans les siècles qui suivirent, des fêtes et des jeux célébraient le retour de la belle saison le premier mai. Les jeunes gens décoraient avec des branches, le plus souvent de peuplier ou de bouleaux, les maisons des jeunes filles qu’ils voulaient honorer. Il semblerait donc que dans ce bois gravé, la promenade à cheval soit l’occasion de multiples plaisirs, alors qu’au sol s’épanouissent des fleurs qui ne demandent qu’à être cueillies.
Juin

Chacun sait ma saison est belle
Je suis le mois de juin nommé
Qui fait tondre la chose est telle
Brebis et moutons à grand planté
En tout temps doit être loué
Celui qui tant de bien envoie
Car en mon temps cette vérité
Abondent tous biens à montjoye.

Du latin "junius", évocation de Junius Brutus, un des fondateurs de la République romaine.
Juin est traditionnellement le mois de la fenaison. Mais dans ce bois gravé tiré du calendrier des bergers, l’artiste a fait le choix de représenter une activité rarement illustrée ailleurs, celle de l’élevage et de la tonte des moutons. Elevés pour leur lait, leur viande, leur laine, les moutons ou brebis pouvaient aussi fournir un revenu complémentaire non négligeable grâce à leur peau qui, une fois préparée, devenait le précieux parchemin.
Au premier plan, un homme assis tient sur ses jambes un mouton dans les pattes sont ligotées. De sa main droite, il tond un mouton à l’aide de forces, ancêtres de nos ciseaux connues en France dès le XIVe siècle. A ses pieds, un panier en osier recueille la laine.
Au second plan, un berger rentre le troupeau avec l’aide d’un chien. L’entrée de la bergerie est précédée d’une palissade en bois tressé que l’homme utilise pour guides ses bêtes. Il semblerait que le bâtiment soit couvert de lauzes, pierres plates, dont on peut voir encore quelques vestiges sur des bâtiments agricoles du nord de la Bourgogne par exemple. La façade de la bergerie est percée de minces ouvertures, qui indiqueraient peut-être la présence de pigeons ou de colombes dont la fiente fournissait un engrais recherché.
A l’arrière-plan, un berger surveille son troupeau.

Juillet

Et je crois je vous disais
Les valeurs qui sont en mon fait
Qu’à grand peine je serais
Et si je suis le mois de juillet
Je suis joyeux à peu de plet
Pour tous bien faire tôt mûrir
Si doit on bien de cœur parfait
En mon temps Jésus-Christ servir.
Du latin julius, du nom de Jules César, né durant ce mois.

Le plus souvent, ce mois est illustré par une gravure sur la moisson. Mais dans notre cas, le sujet est la fenaison, la coupe des foins. Les paysans, protégés du soleil par un chapeau à larges bords, utilisent une faux, instrument lourd qui se tient à deux mains. La taille de la lame recourbée est ici particulièrement impressionnante. Au sol sont visibles les pierres à aiguiser.
Au second plan, des femmes rassemblent l’herbe coupée à l’aide de fourches et de râteaux pour édifier des meules et faire sécher les foins.
Août

Je suis août auquel nul grand loisir
Ne doit prendre ni séjourner
Mais doit faucher et fener par plaisir
Mettre en grange et battre et vener
Lors devons tous chacun matin lever
Pour prier le vrai rédempteur
Jésus qui nous doint séjourner
Pour avoir des cieux la teneur.
Du latin "augustus" sous-entendu "mensis", le mois d’Auguste. Chez les Latins, il s’appelait à l’origine "sextilis", le sixième mois de l’année. Puis il fut consacré à l’empereur Auguste.

La moisson est l’activité principale des mois d’été. Fréquemment, elle est associée au mois de juillet. Mais sa date varie selon la latitude, l’altitude, le climat de l’année ou la nature des céréales.
Ici, les paysans travaillent sous la protection d’un chapeau à large bord, revêtus d’un vêtement qui couvre la nuque. De la main gauche, ils agrippent les tiges de blé alors que la main droite manie la faucille.
A l’arrière-plan, deux paysans lient les gerbes. Une femme apporte un panier alors qu’au sol, au premier plan, sont posés cruche et balluchon.
Septembre

Je me fais septembre appeler
Plain de tous biens à tous endroits,
On peut en ma saison trouver
Froment et vin, avoine et pois.
Tous hébergés pour une fois
Dont chacun doit par grand raison
Aviser qu’en ce mois
Soit bien pourvu pour sa saison.
Du latin "september", le septième mois, l’année commençant alors en mars.

Au premier plan, des paysans sèment à la volée. Le champ, préalablement préparé est creusé de sillons laissés par la charrue. Ils portent un tablier de semailles muni de deux bretelles et accroché dans le dos. Posé à même le sol, un sac de grains est disponible pour leur réapprovisionnement. Un oiseau, sans doute un corbeau picore les graines.
Au second plan, une charrue tirée par des bœufs et des chevaux, précédée d’une herse, prépare le champ.
A l’arrière-plan, à l’intérieur d’une grange, deux hommes battent le blé à l’aide de fléaux pour séparer les grains de leur enveloppe. La paille est conservée pour nourrir le bétail qui assiste d’ailleurs à la scène.
Octobre

Celui qui de moi se souvient                            Dont on fait le saint sacrement 
Se doit réjouir grandement                             
Sur l’autel en maintes contrées ; 
Car nommé suis le moi d’octobre                   
Et car je fais bon vin vraiment, 
Qui fait vin cueillir et sarment,                        
Ma maison doit être approuvée.

Du latin "october", huitième mois dans le calendrier de Romulus.

La date des vendanges varie en fonction du climat de l’année en cours, de la latitude, de l’altitude, mais aussi des cépages. Précoces dans l’Europe du sud, les vendanges sont plus tardives en France du nord. Elles se déroulent fréquemment fin septembre, début octobre.
Culture peu exigeante en matériel, ignorant la jachère, la culture de la vigne demande de nombreuses heures de travail. Mais elle fournit la boisson consommée, dont la vente peut procurer un appoint financier non négligeable.

Ce bois gravé détaille de façon assez précise les différentes activités liées à la viticulture. A l’arrière-plan, des hommes effectuent la cueillette. L’un d’entre eux porte une serpette à la ceinture. Déposées dans un panier, les grappes sont transportées dans des hottes puis vidées dans un pressoir ou dans une cuve à fouler. Le foulage est effectué par un homme plongé jusqu’aux genoux dans une cuve cylindrique en bois. Une fois les raisins pressés, le jus est mis en tonneaux. L’entonnoir, laissé en place, évoque l’ouillage, opération qui consiste à remplir périodiquement le tonneau. Une partie du jus s’évaporant ou étant absorbée par les parois, il faut éviter que le vin ne soit au contact de l’air, source préjudiciable à sa conservation. Les tonneaux sont posés sur deux cales, appelées "chantier" qui les protègent de l’humidité du sol.


Novembre

Je fais allumer maint tison
Novembre suis qui règne à plein
Toute personne de façon
Doit penser d’avoir vin et pain,
Et doit prier au souverain
Roi des cieux pour son salut
Car en mon temps il est certain
Que tout meurt naturellement.
Du latin "novembe", le neuvième mois de l’année.

Ce bois gravé présente une activité assez peu illustrée dans les calendriers. La scène se déroule dans l’atelier d’un boulanger.
Au premier - plan, un personnage doté d’un tablier enfourne les pains dans la chambre de cuisson, avec une pelle à long manche. Le four est creusé à sa base d’une niche en arcade devant laquelle sont posés des bûches, un fagot et une hache.
Au second - plan, un homme pétrit la pâte pour en faire des boules ou pâtons. Avant la cuisson, ces derniers sont retournés à plusieurs reprises pour favoriser l’évaporation de l’eau qu’ils contiennent. Un troisième personnage s’active auprès d’un second four.
A l’arrière-plan, une femme portant une hotte, se présente à la porte de l’atelier.
Décembre

Je suis décembre le courtois
Qui sur tous doit être loué,
Car en mon temps le roi des rois
Fut de la Vierge enfanté,
Et délivré de son côté,
Dont le monde se réjouit
D’honneur ay tout outrepassé
Quand en mon temps Jésus naquit.
Du latin "december", dixième mois de l’année romaine formé sur "decem", dix.

Le mois de décembre illustre souvent l’élevage des porcs. Bien souvent, la glandée, est l’activité principale. Elle est ici présentée au second - plan. Un homme muni d’une longue perche frappe les branches d’un arbre, sans doute un chêne, pour en faire tomber les glands, dont les cochons sont friands. La date d’ouverture de la glandée est rigoureusement fixée par le droit seigneurial ou la coutume. D’octobre à décembre, les bêtes parcourent librement les forêts pour se nourrir des racines, champignons ou fruits. Au Moyen Age, la superficie des forêts était souvent évaluée suivant le nombre de porcs qu’elle pouvait nourrir et était mesurée en "porchée".
Au premier - plan, l’animal, assommé du revers d’une hache, est maintenu par les pattes, couché sur le flanc, alors que le paysan lui ouvre la gorge. La paysanne recueille le sang pour préparer le boudin.
Seule bête à être élevée uniquement à des fins alimentaires, le porc est une réserve essentielle de viande, qui une fois salée ou fumée, est conservée durant de longs mois.

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